dimanche 8 novembre 2009

De retour du Burkina Faso : Quelques réflexions / Home from Burkina Faso: A few reflections

Je suis rentrée en France maintenant depuis plusieurs mois et j’ai eu le temps de digérer mon expérience en Afrique.

Au départ, il m’a été difficile de me réadapter à la vie en France. Le jour après mon retour, je ne me sentais pas bien. Je vivais ce que j’avais lu : l’après-coup d’une expérience en Afrique. Je me sentais léthargique et indifférente à presque tout ce qui se passait autour de moi. J’étais contente d’être de retour mais la pensée de reprendre la routine quotidienne ne m’intéressait pas.

J’étais cependant très reconnaissante de goûter encore une fois du pain complet et frais (rare en Afrique). Quel luxe de pouvoir manger des aliments savoureux, nourrissants et propres ! Et parlant de fruits : quelle joie de pouvoir en manger sans devoir au préalable les désinfecter et de manger des crudités sans d’abord les avoir fait tremper dans de l’eau de javel pendant une demi-heure ! Il m’a fallu un peu de temps pour me réajuster à ces différences subtiles dans les habitudes quotidiennes.

Sans aucun doute, je peux dire que maintenant j’apprécie beaucoup plus les petites choses ici en Europe : le fait de choisir les études qui me plaisent, ce que je veux manger et où je vais ; un bon système de santé ; de l’eau potable ; la liberté donnée aux femmes. A un autre niveau , j’apprécie d’être en bonne santé et de vivre dans un pays où je peux aller me coucher le soir sans avoir peur des maladies, sans me demander si je pourrais manger demain ou pas et avec l’assurance que quand je me réveillerai le matin, je pourrai choisir les vêtements que je porterai.

Regardant en arrière, l’Afrique m’a fait vivre les limites de ce que je pouvais supporter – à la fois émotionnellement et physiquement. J’ai vu la souffrance d’une mère qui venait de perdre son bébé d’un mois. J’ai vu une pauvreté impossible à exprimer correctement avec des mots. J’ai souffert de violentes douleurs causées par une intoxication alimentaire qui m’ont obligée à m’aliter pendant une semaine. Donc, me retrouver encore une fois immergée dans le style de vie européen m’a fait un choc.

Mes pensées retournent souvent en Afrique et à mon devoir de ne pas oublier les gens que j’ai rencontrés et la pauvreté difficile dans laquelle ils vivent. Ces souvenirs sonnent pour moi comme des cloches pour m’avertir quand je me sens devenir ingrate, égoïste et indulgente.

Je repense aux discussions que j’ai eues et dans lesquelles j’avais honte de parler de l’Europe. Prenons Evelyne par exemple : une mère de 30 ans qui a insisté sur le fait qu’elle et les autres femmes de son village ont beaucoup souffert pendant les dix dernières années parce qu’elles n’avaient pas d’eau potable à proximité, qu’elles n’avaient pas de latrines et pas la capacité de fournir un revenu à leurs familles. Comment je pourrais leur expliquer qu’en Europe, on peut faire livrer ses courses à la maison et que l’on est considéré comme très pauvre si l’on n’a pas assez d’argent pour avoir une voiture ?

Ou bien, comment je pourrais expliquer à Martin que pendant qu’il se prive de nourriture et qu’il souffre de la faim parce que ses parents n’ont pas de moyens, je serai en train de décider si je veux manger au restaurant ou si je préfère prendre mon repas à la maison avec un réfrigérateur plein de nourriture ? Est-ce que je devrais mentionner le fait que tandis qu’il va aller se coucher dans le noir, je serai en train de regarder un programme émis par une télévision à grand écran ou bien sur mon ordinateur portable ou peut-être que je serai en train de jouer sur une des trois consoles de jeux à la maison ?

De même, je n’arrivais pas à avouer à Delwende, un enfant de 13 ans qui n’ira jamais à l’école et qui souffre d’une bronchite chronique depuis deux ans, que les soins médicaux sont gratuits en Europe ainsi que la scolarité et que si l’on nous forçait à payer, il est fort probable qu’on ferait grève. Je me sentais gênée de tout ce qu’on se permet et dont je n’osais pas parler : le fait qu’on renouvelle notre téléphone portable tous les ans ainsi que nos ordinateurs portables pour avoir le modèle le plus récent ; qu’on ait au moins une voiture par famille, parfois plus ; qu’à Noël nous dépensons des centaines d’euros pour des cadeaux destinés à nos amis et à nos familles…

En rentrant en Europe, au lieu de tomber dans la même routine confortable qu’avant, j’ai pris la décision de ne pas oublier ces personnes et leur souffrance. Je ne veux pas me sentir coupable pour le luxe que j’ai en Europe, mais je ne veux pas non plus oublier ma responsabilité envers des personnes défavorisées. Le sentiment inconfortable de honte que je ressens en comparant tout ce que j’ai avec le peu qu’ils ont me donne envie de partager avec eux une partie de ce que j’ai la chance d’avoir.

Même si je ne retourne jamais en Afrique et que je ne suis plus jamais confrontée au niveau de pauvreté que j’ai vu en Afrique, je sais qu’il y a beaucoup de façons d’être solidaires avec ceux que j’ai rencontrés : avec mon argent, mon temps et ma voix. Ces personnes ont besoin que nous renoncions à certaines choses pour soulager leur souffrance. Avec tous nos excédents, nous pouvons vraiment améliorer leur vie. Ce que je gaspille (mon temps, mon argent, mon énergie...) est perdu pour eux. Je suis responsable; vous êtes responsable. Nous sommes tous responsables.

I’ve been home for a few months now, and I’ve had time to digest my experience in Africa.

Initially, it was difficult readjusting to life in France. The day after my return, I felt unwell and to add to this, I just couldn’t make myself feel happy. I was experiencing what I had read about: the African experience aftermath. I felt lethargic and indifferent to most of what was going on around me and while I was glad to be back, the thought of fitting into the mundane daily routine once more didn’t appeal to me.

In saying this, I was extremely grateful to taste freshly baked, whole-wheat French bread (rare in Africa). It felt like such a luxury to eat clean, nutritious food once again. Not to mention the fruit; what a luxury to be able to eat fruit without first having to disinfect it and being able to eat raw vegetables without first soaking them in bleach for 30 minutes! It took me a while to readjust to these subtle differences in daily habits.

Without a doubt, I can say that I appreciate the little things a lot more here in Europe: choosing what I study, what I eat and where I go; a good health care system; clean water and the freedom afforded to women. On a more simple level, I appreciate being in good health and living in a country where I go to sleep at night without the fear of disease, without worrying about whether I will eat tomorrow or not and with the knowledge that when I wake up tomorrow, I will have the choice as to what I will wear.

Looking back, Africa pushed me to my limits in many senses—both emotionally and physically. I saw the grief of a mother who had just lost her one-month-old baby, I witnessed poverty that I find difficult to express in words, and I was crippled in pain for a week with food poisoning. Therefore, being plunged back into European lifestyle gave me a shock.

My mind keeps taking me back to Africa and to my duty not to forget the people I met and the difficult poverty they live in. These memories are like warning bells when I want to be ungrateful, selfish and indulgent.

I think back to the times when I felt embarrassed talking about Europe in Africa.
Take Evelyn for example: a 30 year old mother who stressed how much she and the other women of her village had suffered over the past ten years because they didn’t have drinkable water nearby, They had no latrines and no skills to be able to provide an income for their family. How could I explain to her that in Europe, you can have your groceries delivered to your doorstep and that you’re considered really poor if you can’t afford a car?

Or how could I explain to Martin that while he starves himself because his parents don’t have any money, I will probably be deciding whether to go out to a restaurant to eat or whether to cook for myself at home with a fridge full of food? Or should I mention that while he goes to bed in the dark at night, I will probably be watching a program on a wide-screen LCD screen or my laptop or perhaps I’ll be playing on one of the three game consoles in my home?

Similarly, I couldn’t bring myself to explain to Delwende, a 13 year old boy who will never go to school and who has been suffering from chronic bronchitis for two years, that health care and schooling is free in Europe, and if we were forced to pay, we would probably go on strike. I felt so embarrassed about the indulgences that we allow ourselves that I dared not talk about some aspects of Europe: the fact that we update our mobile phones and laptops to the latest model every year or so, that we have at least one car per family, often more, that for Christmas we may spend hundreds of pounds on gifts for our friends and family....

Rather than coming back to Europe and falling back into my same, comfortable routine, I made the decision to not forget these people and their suffering. I don’t want to feel guilty for the luxuries I am afforded here, but I also believe I shouldn’t forget my responsibility towards those less fortunate. This uncomfortable feeling of shame and embarrassment at having so much makes me want to give back to them what I have been so lucky to receive.

Even if I never go back to Africa and I am never confronted with this level of poverty again, I know that there are many other ways I can show solidarity towards those I met: with my money, my time and my voice. These people need us to give up something in order to relieve their suffering. From all the excess that we possess, we can make a world of a difference to them. My waste is their loss. Your waste is their loss. The responsibility is mine and it’s yours; in short, it's ours.

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